Les industriels en quête de compétitivité verte

27/06/2019 Palmeraie Country Club – Casablanca

La place de la consommation énergétique n’a jamais été aussi importante dans les processus industriels. Pourtant, l’option de l’énergie renouvelable en est à peine à ses premiers balbutiements et les opérateurs n’adhèrent pas entièrement à cette dynamique.

Des cimenteries à l’agroalimentaire, en passant par le textile et la chimie, les secteurs les plus productifs du tissu économique sont également les plus énergivores et représentent plus de 32% de la consommation nationale. Un coût énorme à supporter par ces industriels qui ont pourtant la possibilité d’opter pour l’utilisation des énergies renouvelables avec, à la clé, une réduction drastique de leur facture énergétique. Mais si cette alternative semble très attractive sur le papier, la mise en place d’une transition énergétique économiquement «rentable» pour les industriels ne peut être envisagée sans quelques fondamentaux. Il s’agit surtout d’une offre compétitive avec un savoir-faire et une ingénierie nationale, un cadre juridique incitatif favorable et l’existence d’offres de financement adéquates. Autant de sujets de débat qui ont été abordés ce 27 juin par une centaine de dirigeants industriels et acteurs de l’énergie renouvelable lors d’un séminaire d’Economie Entreprises Live.

La rentabilité avant tout
Car malgré la prise de conscience qui entoure la question des énergies renouvelables et du développement durable de manière plus générale, c’est surtout la notion très légitime de retour sur investissement que regarde en premier un industriel. Beaucoup d’entre eux se sont lancés dans des études de faisabilité mais sans jamais oser franchir le pas. «Ce qui rebute les entrepreneurs c’est qu’il n’y a pas de modèle économique fixe. Un même projet photovoltaïque avec les mêmes installations peut avoir des rendements complètement différents entre deux unités voisines», explique Khalid Semmaoui, président de l’Association marocaine de l’industrie solaire et éolienne (Amisole). Une installation au sol par exemple n’est donc pas la même que sur une toiture ou sur une ombrière. Il y a également la question de l’orientation, de la localisation et donc de l’irradiation solaire. Sans compter que le contexte industriel peut changer et que les courbes de charge de consommation peuvent être complètement différentes.
Autre facteur d’hésitation, le coût de l’électricité produite. En effet, les prix qui circulent sont plutôt relatifs à ce qui est produit dans des installations à haute tension. Or la situation est complètement différente quand il s’agit de moyenne tension. «Au risque d’être décevant, le prix du solaire ne varie pas en 30 et 50 centimes de dirhams le kWh. Dans la moyenne tension, nous nous situons plutôt entre 60 et 70 centimes», tient à préciser Damien Granjon, directeur développement de Quadran Maroc. Un écart qui en refroidit plus d’un, surtout lorsque toutes les charges n’ont pas été comptabilisées. Ainsi, au prix d’achat des panneaux solaires, onduleurs et autres câbles s’ajoutent les OPEX, les frais d’assurances et toutes les autres dépenses de maintenance. Face à cette situation, et en l’absence de réglementation, certaines entreprises très opportunistes vont proposer des tarifs très agressifs avec le risque que cela suppose de créer des contre-références. Un peu à l’exemple de ce qui s’est passé en France au début des années 2000 quand l’État a levé la subvention et a ouvert les tarifs d’achat. «Si on laisse faire ça aujourd’hui, l’industriel n’aura même pas le temps de voir son retour sur investissement vu que sa centrale ne fonctionnera peut-être plus ou qu’elle aura déjà pris feu», s’alarme Damien Granjon. Pour remédier à cette situation, l’Amisole a mis en place, en partenariat avec l’Agence marocaine pour l’efficacité énergétique (AMEE) et le Cluster solaire un label «Taqa Pro» dédié aux installeurs comme premier signal de qualité des installations.

Le MorSEFF à la rescousse
Une fois le sujet de la faisabilité et de la rentabilité réglé, se pose la question du financement. N’ayant pas vocation à être énergéticiens ou comprendre les économies d’énergie, les banquiers se montrent souvent frileux au financement de ces projets malgré l’existence d’un plan national d’action prioritaire concernant l’efficacité énergétique. C’est là que la BERD est entrée en ligne avec des dispositifs SEFF (sustainable energy financing facilities) dans le cadre du MorSEFF. «Il s’agit d’une approche complète, clé en main, qui va comprendre non seulement le crédit (prêt ou leasing) dédié, mais également un accompagnement technique pour la banque locale et une subvention de l’Union européenne», explique Meriem Elmandjra, consultante MorSEFF. Cette formule est arrivée en 2015 au Maroc avec deux banques locales (la BMCE et la Banque Populaire) qui ont permis de financer 260 projets pour un montant global de 1,2 milliard de dirhams et des temps de retour sur investissement en moyenne de 3-5 ans pour l’efficacité énergétique et 7 ans pour les énergies renouvelables. Ce qui a permis à plusieurs sociétés de mener des projets de transition énergétique autrement irréalisables à l’instar de Multisac, véritable success story dans le domaine. Face au succès rencontré, une extension de 220 millions de dirhams a été signée avec les deux banques. Aujourd’hui, la BMCI a également obtenu une ligne de 220 millions de dirhams en janvier 2019 sans compter la signature avec Société générale de la première ligne «Green Value Chain» (GVC) exclusivement dédiée à la PME-PMI selon la définition plus large de l’Union européenne.
Toutefois, malgré les économies réalisées, beaucoup de projets ne peuvent pas être rentables ou le sont moins parce qu’il y a la contrainte de produire sur site et de consommer sur site en sachant que l’auto-production ne couvre au mieux que 25% des besoins de consommation avec une réduction finale sur la facture électrique qui ne représente que 1 à 5%. Un gain jugé décevant par certains, surtout au vu de tout ce «bruit» fait autour des énergies renouvelables. «Il y a forcément de l’énergie perdue pendant les week-ends, les congés ou les jours d’arrêt pour maintenance. Ce qui rend l’équation moins intéressante sans la possibilité de réinjecter cette électricité dans le réseau», affirme Khalid Semmaoui. Sauf que la question de revendre à l’opérateur système ses kWh non consommés dans une logique de troc grâce à des compteurs inversés n’est pas du tout envisageable. Premièrement à cause de la réglementation qui doit suivre, un deuxième amendement de la loi 13-09 a d’ailleurs été déposé au Secrétariat général du gouvernement et attend son adoption, mais surtout parce que l’ONEE le refuse. «Il est inconcevable d’échanger un kWh produit un dimanche en heure creuse par un autre consommé lors d’une heure de pointe», tranche Brahim Oumounah, directeur de la stratégie et planification à l’ONEE. En attendant de trouver une solution, les industriels peuvent toujours profiter d’une énergie renouvelable sans investir en achetant de l’électricité à des opérateurs privés qui ont déjà consenti l’investissement, à condition toutefois d’être à proximité de la station.